dimanche 5 décembre 2010

Le daguerréotype à Stanstead

La première photographie conservée date des années 1826-1827. Réalisée par le Français Nicéphore Niepce (1765-1833), l’image fut exécutée sur une plaque d’étain, sensibilisée à l’aide de vapeurs de sels d’argent; baptisée « héliographe », elle avait réclamé près de 8 heures d’exposition. Niepce allait continuer d’expérimenter avec son nouveau procédé, s’associant en 1832 avec Louis-Jacques Mandé Daguerre (1785-1851),  un artiste-peintre et scénographe qui recherchait le moyen de produire des images pour son célèbre « Diorama » parisien. Mais l’association des deux hommes fut de courte durée, car Niepce mourut en 1833, laissant Daguerre poursuivre seul ses recherches.

Ce n’est qu’en 1839 que Daguerre fit enfin connaître au public son invention, qui fut bientôt connue sous le nom de daguerréotype. De façon magnanime, le gouvernement français acheta le brevet d’invention de Daguerre, pour en faire ensuite don au monde entier au nom de la France. Le daguerréotype connut alors une énorme popularité, tant en Europe qu’en Amérique.

Journal Le Canadien, Québec, janvier 1855
Dès l’année de son invention, un amateur québécois, Edmond Joly de Lotbinière, utilisa le procédé de Daguerre pour exécuter des images de monuments en Grèce et en Égypte.  En 1840, on faisait connaître le daguerréotype à New-York et par la suite, dans de nombreuses villes américaines. À Montréal, un nommé Doane produisait des images de ce type en 1852, et à Québec, Jules-Isaïe Benoît dit Livervois annonçait déjà ce service, dès l’ouverture de son studio sur la rue Buade en 1855 : bientôt on allait offrir le daguerréotype dans une vingtaine de villes au Québec, notamment chez William Notman à Montréal. 

Stanstead allait connaître très vite le nouveau procédé, ce premier ancêtre de la photographie. Lors des premières années de publication du Stanstead Journal, lancé en 1845, on annonce le passage de daguerréotypistes ambulants, venus dans la région à partir des villes de Nouvelle-Angleterre. En octobre 1846, Thomas W. Hugues arrive de New York pour s'installer à l'hôtel Bangs de Stanstead, où il offre ses services de portraitiste dans la méthode d
aguerrienne
, y compris pour reproduire par ce procédé des peintures. 

Stanstead Journal, 13 octobre 1846
Nombre de photographes ambulants allaient ainsi parcourir les routes des campagnes, travaillant parfois à même leurs ateliers installés dans des voitures à cheval. En septembre 1852, par exemple, les propriétaires du Travelling Daguerrian Car s’arrêtent à Stanstead Plain pour pratiquer leur « art daguerrien », ainsi qu’ils l’avaient fait plusieurs fois auparavant dans les Cantons-de-l’Est. On offrait même à cette occasion de procurer un apprentissage de la technique, de même que toutes les fournitures et équipements requis.

Stanstead Journal, 14 septembre 1852
Au plan technique, le daguerréotype était produit à l’aide d’une variante de l’antique camera obscura, connue depuis des siècles par les artistes-peintres. Au moyen de la caméra modifiée par l’ajout d’une lentille, on exposait le sujet à une plaque de cuivre enduite d’argent, sensibilisée préalablement à l’aide de vapeurs de brome et d’iode, qui réagissaient à l’argent en se transformant en iodure d’argent photosensible

Au terme d’une exposition de 15 à 30 minutes (alors que le sujet devait rester immobile !), on retirait la plaque argentée de la caméra pour ensuite l’exposer à des vapeurs de mercure, qui produisaient à la surface de la plaque une image d’allure fantômatique. La plaque ainsi « développée », qui présentait la surface polie d’un miroir, permettait de visionner l’image produite en l’observant sous un certain angle.

Daguerréotype anonyme, Groupe de femmes, Stanstead vers 1850.
Collection Musée Colby-Curtis.


    
Pour le photographe, exposé à respirer tant de vapeurs toxiques, il s’agissait d’un procédé capricieux, et fort dangereux. Quant au client, il disposait au terme d’une longue session de pose, d’un exemplaire unique d’une image parfois décevante, qu’on ne pouvait visionner qu’avec quelque difficulté. Malgré tout, le procédé du daguerréotype n’offrait aucun précédent comparable, permettant d’acquérir à relativent peu de frais une image durable, miniature et portative, qu’on pouvait faire exécuter à répétition par le photographe. Mieux encore, l’image du daguerréotype pouvant traverser le temps et l’espace, offrant à chacun la possibilité de voir des êtres chers, ou des paysages, par-delà la distance ou la disparition d’un proche.

Attirail pour le traitement d'un daguerréotype. (Source: Alan Buckingham, Histoire de la photographie,
Coll. Les yeux de la découverte, Éditions Gallimard Jeunesse, Paris 2005)



































        
      
  De nombreux daguerréotypes furent produits, partout dans le monde, entre 1839 et 1860 environ, à quelle époque le procédé fut définitivement supplanté par celui du collodion humide, inventé en 1851 – une technique beaucoup plus performante, qui contribua en outre à perfectionner le processus photographique de l’internégatif (procédé négatif-positif). Dans la région de Stanstead, le daguerréotype fut en usage jusqu’en 1860, alors qu’un photographe du nom de L. Ellis annonçait encore dans le Stanstead Journal qu’il offrait des images de ce genre à son studio de Derby Line.

Daguerréotype anonyme, Dr. Moses French Colby, Stanstead vers 1850.
Collection Musée Colby-Curtis






















      
Les collections du Musée Colby-Curtis et de la Société historique de Stanstead comprennent plusieurs beaux exemples de daguerréotypes, ainsi que d’autres techniques « primitives » de photographie. Malheureusement, les photographies de cet âge (plus de 150 ans) ont souvent perdu la mémoire, l’identité des personnes représentées ayant souvent été oubliée. Littéralement devenues des images fantômes – à l’instar de celles que présentent les « miroirs » daguerriens –, ces images conservent tout de même un très grand intérêt, pour leur technique, bien sûr, mais aussi pour les costumes, coiffures, bijoux et accessoires représentés.


À l’heure actuelle, et jusqu’au 31 mars 2011, le Musée présente une exposition temporaire intitulée « Visages en mémoire » qui comprend, en plus d’une sélection de portraits anciens en peinture, un assortiment de portraits photographiques du 19e siècle, dont un bel ensemble de daguerréotypes tirés de nos collections. Le musée est ouvert sur semaine, tous les jours de 13h à 17h, ou sur rendez-vous.


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